Si peu de voies de Saint-Paul portent le nom d’une personne, celle qui part perpendiculairement de l’avenue de Limoges pour longer le garage et rejoindre le plan d’eau porte le nom d’un ancien habitant de Saint-Paul, autrefois adjoint au maire, et au destin tragique : la rue Jean Paul Lafay.
D’une famille originaire de Pierre-Buffière, Jean-Paul Lafay s’installe à Saint-Paul, avenue de Limoges, en rachetant l’ancienne demeure du docteur Boussenaut à la fin
des années 60. Marié, père de 2 enfants et vétérinaire de profession, il installe son cabinet dans une annexe de son domicile. Il prend la succession d’un autre vétérinaire de Saint-Paul, au même patronyme mais sans lien de parenté.
En 1971, il se présente aux élections municipales de Saint-Paul et devient l’adjoint de M. Roux, maire. De nature calme et peu bavard il prendra part aux réalisations de ce premier mandat très actif : école, création du lotissement du Métayer et aménagement du plan d’eau, nouveau bâtiment de la Poste… Réélu en 1977, toujours avec M. Roux, il quittera néanmoins Saint-Paul peu après pour la Corse.
Le premier contact avec la Corse remonte à 1964 par sa belle-famille. Il effectue un remplacement de vétérinaire sur l’île. De retour en Limousin, il gardera l’idée de s’y installer un jour.
L’opportunité se présente à la fin des années 70, où un vétérinaire prend sa retraite, et cède son cabinet et sa clientèle en Corse. Toute la famille part alors s’installer à Corte. Son histoire personnelle va alors rencontrer celle plus tourmentée des relations entre la France continentale et la Corse.Depuis les événements d’Aléria deux ans auparavant, et l’avènement du nationalisme corse moderne, les bombes explosent régulièrement sur l’Île de Beauté.
Installé à Corte, Jean-Paul Lafay connaît un début de carrière en Corse sans histoire, mais tout va bientôt changer. Il reçoit sa première lettre de racket à l’été 1982 puis diverses menaces.
Dans l’après-midi du 31 décembre 1982, c’est pour avoir refusé de se soumettre au chantage de l’impôt révolutionnaire que, dans son cabinet, le vétérinaire continental reçoit deux balles, à quelques heures du réveillon. Retrouvé dans une mare de sang, il est hospitalisé et s’en sort miraculeusement.

La photo du praticien sur son lit d’hôpital est à la Une de la plupart des journaux. Elle suscite une telle émotion que, deux jours plus tard, le gouvernement Français annonce la dissolution du FLNC.
Après l’attentat de la Saint-Sylvestre, Jean-Paul Lafay anime une association d’aide aux victimes du terrorisme puis en devient le président. Il ne mâche pas ses mots contre les nationalistes et la violence.
La violence, c’est encore le thème du débat organisé par FR3 le 16 juin 1987 dans ses studios d’Ajaccio. Et dans la nuit du 16 au 17, alors qu’il sort des studios après avoir participé à un débat contradictoire sur la violence, des tireurs attendent le vétérinaire : le docteur Jean-Paul Lafay est assassiné de plusieurs balles. On le verra mourir presque en direct à la télévision.
Cet assassinat soulève l’indignation générale, en Corse comme sur le continent. Au Conseil des ministres, le 17 juin, le président de la république François Mitterrand souhaite que tous les moyens soient mis en œuvre pour frapper les coupables, tandis que Charles Pasqua, ministre de l’intérieur, déclare vouloir « mettre à la raison » les responsables du terrorisme.
Le 20, les obsèques du vétérinaire donnent lieu à une opération « Corse, île morte » à laquelle s’associent majorité et opposition. Élus de droite et de gauche se sont retrouvés pour les obsèques de Jean-Paul Lafay à Corte. Le maire de Saint-Paul et quelques proches de l’ancien vétérinaire de notre commune se rendent également sur place.

À partir du 23, et pour la première fois en Corse, les portraits de six nationalistes clandestins recherchés par la police sont affichés dans les lieux publics. Une récompense pouvant aller jusqu’à un million de francs est promise à toute personne qui peut fournir des renseignements.
Les assassins ne seront jamais retrouvés.
Dans le même temps, Saint-Paul voyait alors son aspect changer par les réalisations auxquelles Jean-Paul Lafay avait lui-même participé comme adjoint. La création d’un lotissement et du plan d’eau avait considérablement modifié et augmenté les volumes de circulation de véhicules dans le bourg. Il fallait alors désengorger le carrefour devenu dangereux en haut du bourg, entre la rue d’Artrat, l’avenue de Limoges et la rue du stade.
La commune avait fait l’acquisition en 1984 d’une maison très dégradée, et de la parcelle derrière-celle-ci, à hauteur du 38 avenue de Limoges. L’objectif est de démolir la maison et de créer une voie de communication entre l’avenue de Limoges et la rue du stade, et ainsi déplacer la circulation.
Les travaux seront pour la plupart réalisés en régie par les employés communaux. Bientôt il faudra donner un nom à cette nouvelle voie.

Donner un nom à une rue, ce n’est pas anodin. C’est fait pour rester dans le temps. Et sauf exception, on ne donne pas le nom d’une personnalité vivante.
Concrètement, les propositions des noms des rues peuvent venir de n’importe quel habitant. C’est ensuite au maire et au conseil municipal de trancher. Aucun article de loi ne régit cette procédure, tout comme il n’est pas obligatoire de nommer les bâtiments publics.
La route nouvellement construite entrera en service quelques temps après le décès du Dr Lafay et portera assez logiquement, sur décision de conseil municipal, le nom de son serviteur tragiquement disparu.

