LE TRAMWAY A SAINT-PAUL
A la fin de l’année 1906 est présentée en conseil municipal l’avant projet de construction d’une ligne de tramway électrique de Limoges à Eymoutiers. Le conseil donne un avis très favorable puisque le projet « présente un grand intérêt au point de vue industriel et agricole et que sa réalisation apportera une amélioration sensible dans les communications et contribuerai notablement à la prospérité et l’agrément du pays » ( Conseil municipal du 23 décembre 1906).
La concession du réseau des Chemins de fer Départementaux de la Haute-Vienne (CDHV) fut accordée en 1907 et la compagnie des chemins de fer départementaux de la Haute Vienne (CDHV) créée le 29 novembre 1909. Sous la conduite de MM Loucheur et Giros, elle a pour but de construire un réseau de 4 lignes autour de Limoges d’une longueur totale de 345 km. Le réseau est déclaré d’utilité publique par décret du 3 avril 1909.
Après une longue phase de réflexion et de concertation, les travaux se déroulent en 1911-1912 et les lignes ouvertes progressivement entre 1911 et 1913. La ligne de Saint-Paul (ligne n°4) ouvre en 1912 entre Limoges et Eymoutiers, et en 1913 la ligne est parachevé jusqu’à Peyrat-le-Château.
Des le début, le projet suscite beaucoup d’attentes et d’espoirs puisque ces lignes desservent des régions rurales peuplées, agricoles et industrieuses, permettant d’escompter un trafic important tant en voyageurs qu’en marchandises en mettant Saint-Paul à 1 heure de trajet de Limoges. L’enjeu économique est en effet important, et tout le monde comprend que ces flux nouveaux vont modifier la vie des campagnes par la proximité induite entre la ville et les villages autour. Le tram est interconnecté avec les tramways de Limoges permettant une desserte cadencée. Une souscription est alors lancée a laquelle abonde la municipalité à hauteur de 100 francs.

Depuis 1909 les différentes variantes du réseaux sont soumises à l’étude des communes, ce qui suscitent moults débats, parfois virulents, quand à leur parcours, leurs implantations ainsi que celles des gares car personne ne veut rester à l’écart. On réclame ainsi de rapprocher la gare du bourg de Saint-Paul. De mème, initialement une variante fait passer le tramway par la Pomélie, sur la ligne de crête à la sortie de Saint-Paul en direction de Saint-Bonnet. Le conseil municipal insiste pour ramener la voie plus prés des hameaux les plus populeux comme la Boucole (qui compte alors plus de 80 habitants dont des sabotiers, coquetiers ou tisserand) et Beaumont, ou de bois en coupe réglée annuelle comme à Agueperse ou encore Pierrefiche. Il est également de l’intérêt de la compagnie de passer dans les endroits les plus populeux pour s’assurer un volume de marchandises et de voyageurs conséquent. C’est alors aux ingénieurs de trancher en fonction des possibilités techniques et financières, mais il y aura finalement un crochet fait avec une gare à Leycuras entre Saint-Paul et Saint-Bonnet.
Pour l’anecdote, d’autres demandes paraissent plus éloignées de l’intérêt publique Ainsi le conseil municipal reçoit une pétition (déjà !) organisé par un cabaretier situé à Chambord et qui sollicite un arrêt facultatif du tramway devant son établissement, en pleine cote ! Le conseil répondra poliment « ne pouvoir donner un avis favorable à cette pétition »….(conseil du 12 juin 1913). Vu le nombre de d’échoppes qui a cette époque faisaient également débit de boisons (plus d’une dizaine rien qu’a Saint-Paul), le tram n’était pas prêt d’arriver à son terminus à Peyrat !

Les voies à écartement métrique (c’est a dire avec un écartement d’un mètre entre les rails) sont prévus entièrement en accotement, c’est à dire avec les rails posés sur (ou plutôt dans) la route, et ne quittent celle-ci que pour éviter des courbes trop serrées ou des rampes trop fortes (Un sentier de randonnée à Saint-Bonnet-Briance « le circuit du tramway » reprend le parcours de celui-ci). Les poteaux le long de la voie supportent les caténaires dans lesquels circule l’électricité alimentant la motrice via un pantographe.
La voie métrique fut la « vedette » des chemins de fer secondaires français, ou voies d’intérêt locale, car son coût était acceptable pour les finances départementales et son établissement technique permettait à ce type de voie de pénétrer au cœur des campagnes, de desservir au plus près les localités rurales selon le désir de leurs habitants.
En effet, à cette époque, seul le pas du cheval ou du bœuf rythmait la vie des campagnes et le développement routier était inexistant : Le mode ferroviaire d’intérêt local permet la mise en valeur des zones rurales. Le système métrique à traction électrique permettait des courbures et déclivités importantes, avec une installation en accotement, adapté au relief du limousin puisque le profil de ce réseau était très accidenté et la traction vapeur impossible sans multiplier les ouvrages d’art (en quittant le bords des routes) ce que le département ne pouvait supporter financièrement. Cela se faisait au détriment de la vitesse (20 à 25 km/h en moyenne) mais à l‘époque cela semblait adapté pour circuler sur la route et traverser des villages afin de limiter le risque d’accident.
Au dépôt de l’Aurence un agent, le « circulateur » règle la marche des trains et prend les décisions, informé en temps réel par une ligne téléphonique longeant la voie et reliant toutes les gares.
Les travaux vont bon train à partir de 1911 : Dans saint-Paul le pont de l’Anguienne trop étroit, est élargi pour laisser passer le tram, et ses anciens parapets en maçonnerie sont démontés pour être remplacés par des gardes fous en fer. La chaussée défoncée dans le bourg avec l’apparition de rails gênant la circulation des carrioles et des piétons donnera lieu à de vives colères, et devra être reprise. Rappelons que les routes ne sont pas asphaltées à l’époque et que les rails sont installés sur des chaussées plus ou moins bien empierrées…
Les travaux exigent un grand nombre d’ouvriers itinérant. De 300 à 400 journaliers sont nécessaires pour les travaux sur la commune, pour la plupart des ouvriers italiens ou espagnols payés à a tache. Le conseil municipal sollicite d’ailleurs la création temporaire d’un poste de deux gendarmes « pour prévenir les rixes et désordres » le temps des travaux.(conseil du 8 août 1909).
La compagnie des chemins de fer Départementaux produisait sa propre électricité pour alimenter des motrices électriques utilisant le courant industriel de l’époque, et cela bien avant les grands réseaux. Elle était principalement fournis par l’usine hydroélectrique de Bussy-Varache près d’Eymoutiers. A elle seule, elle pouvait alimenter l’ensemble des 345 km du réseau. En période de bas étiage, une centrale thermique fonctionnant au charbon et à la vapeur était utilisée en complément pour produire l’électricité. Cela donna l’occasion au département de la Haute-Vienne d’être précurseur par l’utilisation du courant alternatif de 10 000 V, monophasé, à la fréquence industrielle de 25 Hz/s sur l’ensemble de son réseau. Ces choix technologiques novateurs faisait de la CDHV un producteur d’électricité permettant de vendre le surplus de production aux communes desservies par le tramways, en l’absence de tout autre réseaux existant à l’époque. Historiquement, l’installation de tramways électriques a souvent coïncidé avec l’introduction ou la rationalisation de la distribution d’énergie électrique dans la région desservie et à un début l’électrification des campagnes.
Les chemins de fers secondaires furent ainsi souvent des pionniers dans le domaine de l’électrification, d’ailleurs la commune de Saint-Paul décide en 1912 de faire installer « une lampe électrique de 50 bougies dans la salle de la mairie et comme le courant traverse les appartements de monsieur l’instituteur, d’en faire établir en même temps une deuxième dans la cuisine de ce fonctionnaire » (conseil du 11 août 1912). Rappelons que l’école des garçons se tenait dans l’actuelle mairie.

L’irruption du tram modifie sensiblement la vie des campagnes : c’est un moyen pratique et peu cher avec des arrêts de villages en villages qui permet de les mettre en communications tout en transportant des marchandises et des voyageurs. Cela constituaient souvent le seul lien économique possible.
Des chefs de gare apparaissent (souvent des femmes) ainsi que des emplois gravitant autour de ces liaisons quotidiennes comme des commissionnaires qui munis de commandes d’habitants des villages, vont faire les emplettes à Limoges et les ramènent à leur commanditaires. Certains s’en vont vendre en ville des produits de la campagne (œufs, volailles, champignons, peaux de lapins…) .Ce flot va irriguer dans les deux sens les campagnes autour de Limoges. Et on transporte beaucoup de monde : 1 300 000 voyageurs sur l’ensemble du réseau dés 1912, et dans l’entre deux guerre, c’est plus de 2 000 000 par an. A titre d’exemple, au crépuscule du tramway, c’est à dire en 1948, dernière année complète de fonctionnement, le nombre de voyageurs transportés était encore de 1 349 116. Et en marchandises, le tonnage sorti de Limoges fut de 59 773 et celui entré de 30 349.

Le matériel roulant est en effet constitué en majorité de wagons de marchandise, tombereaux couverts ou non, wagon plat, wagon spéciaux, puisqu’au delà des voyageurs le tramways véhicule beaucoup de fret dans les campagnes. De l’épicerie, des produits frais, des barriques de vins, colis divers mais aussi du bois notamment pour Limoges qui est alors en pleine expansion. Du bétail mais également du plâtre, du ciment et des matériaux de construction. Et parfois de l’argent, comme en décembre 1943, pendant l’occupation, ou un groupe de maquisards de Guinguoin intercepte le tramways à Saint-Bonnet et dérobe les sacs postaux contenant des fonds destinés à la perception d’Eymoutiers….
Ce réseau structurant, précurseur de la traction électrique, rendis de bons et loyaux service pendant prés de 40 ans et contribua au développement de bien des communes rurales en même temps qu’il apportait de l’électricité. Mais au début des années 30 la création de lignes d’autobus se multiplient et autour de 1936, les lignes de tramways les moins rentables sont supprimées, le réseau se réduisant à 276 km.
Le tramway connaitra un long déclin, victime de ses frais d’entretien et de son vieillissement notamment pendant la guerre, de sa faible vitesse, et de la concurrence de l’autocar. Jusqu’à la fermeture du trafic voyageur le 28 février 1949 et du trafic marchandise le 15 juin suivant.
L’arrivée de l’autobus (qui paradoxalement ne l’égalera pas en terme de desserte des petites et moyennes localités) et la pression ascendante de l’automobile individuelle condamnent le tramway qui est définitivement remplacé par les cars de la RDTHV en février 1949.
L’ensemble du réseau sera déposé en 1951 et 1952. Ne subsistent que quelques constructions et des poteaux réutilisés par EDF, et une petite portion de réseau dans le village martyr d’Oradour sur Glane.
Quelques images des tramways de la Haute-Vienne : https://www.youtube.com/watch?v=hnW9KHFst3s&t=10s

