L’INSURRECTION DE DÉCEMBRE 1851. Saint-Paul, Saint-Bonnet, Linards.
Le matin du 2 décembre 1851, Louis-Napoléon Bonaparte, alors Président de la République Française depuis 3 ans, édicte six décrets et conserve le pouvoir à quelques mois de la fin de son mandat, alors que la constitution de la 2ème République lui interdisait de se représenter. C’est le coup d’état.

Le 4, c’est jour de foire à Saint-Paul, et un messager qui apporte les journaux de Limoges a pu rencontrer le sabotier Léonard Lhermitte, qualifié de « socialiste dangereux » par la police, et ses amis. On peux également compter sur l’entrepreneur Mazaud dont de nombreux ouvriers travaillent sur le chantier de construction de la route de Saint-Paul à Saint-Hilaire (l’actuelle D19) et logent chez l’habitant dans les villages d’ Artrat, du Queyraud ou de La Gratade. Les journaux sont lus en public et commentés, l’agitation gagne.
Mais les nouvelles parviennent également aux partisans de l’ordre établi. Le curé de Saint-Bonnet, François Ruchaud, présent à la foire décide de se rendre chez le préfet pour s’équiper de poudre à fusil pour s’opposer aux séditieux !
Le lendemain, les responsables locaux réunis à Limoges repartent vers leurs cantons respectifs afin de se tenir prêt pour un soulèvement en attendant des émissaires qui donneront l’ordre de passer à l’action. A Saint-Paul, on coule des balles de fusils à Beaumont… .
Le vendredi, les républicains croient recevoir de bonnes nouvelles de Paris, en apprenant l’apparition de barricades et prennent la décision de lancer le soulèvement. Aussitôt des émissaires partent vers les campagnes. En fait ces bonnes nouvelles se révéleront rapidement erronées : un soulèvement a bien eu lieu à Paris ou un certain Denis Dussoubs perdra la vie devant une barricade mais l’ordre est rapidement ramené. Dans Limoges, quelques porcelainiers sont également maîtrisés par les Hussards.

Pendant ce temps la, cinq personnes dont François Mazaud et Pierre Bourneix quittent Limoges à pied pour Saint-Paul qu’ils atteindront vers 23h. Ils emportent quelques pistolets, de la poudre et des balles qu’ils distribueront à leurs recrues. Le projet est ambitieux : il s’agit de faire une boucle partant de Saint-Paul en passant par Linards, châteauneuf (ou des armes sont à saisir la caserne), puis revenir par Saint-Léonard, se joindre à des groupes venus de Bourganeuf puis prendre Limoges d’assaut. Soit prés de 100 km à pied au mois de décembre…
A Saint-Paul, Mazaud et Bourneix passent la nuit à réunir les ouvriers, et prennent contact avec Lhermitte pour investir le bourg et rameuter ses habitants. Peu avant l’aube, la troupe arrive sur la place de l’église et fait sonner le tocsin -il sonnera jusqu’à l’aube- sous le prétexte fallacieux qu’il y a le feu au village des Ribières. Bourneix harangue les habitants et on chante des chants révolutionnaires. Un certain Martin Rivet d’Artrat s’empare du tambour de la garde Nationale, symbole d’autorité, et on porte le drapeau rouge. Les notables du villages restent prudemment à l’écart mais aussitôt après le départ des insurgés, le maire envoie une lettre au préfet pour signaler les faits survenus dans la commune. Lorsque le jour se lève c’est une trentaine de personnes, ouvriers et habitants de Saint-Paul qui prend la route de Saint-Bonnet par Beaumont (la D12 n’existe pas). Presque tous armés, et au son du tambour et du tocsin, ce groupe commence à faire impression.
Comme par un effet boule de neige, des paysans viennent se joindre à eux, de plus ou moins bon gré, à mesure que le groupe traverse les villages.
Rappelons que les campagnes sont très densément peuplées à cette époque (Saint-Paul compte 2000 habitants, Saint-Bonnet 1500, et la misère ainsi que le mécontentement sont importants). La colonne avance de Beaumont jusqu’à Leycuras, visitant les différents hameaux aux alentours, et arrive sur la place de l’église de Saint-Bonnet en fin de matinée.
Là aussi, on fait sonner le tocsin et on s’empare du tambour. La colonne a largement doublé depuis son départ de Saint-Paul, pour atteindre une centaine de personnes ! On menace le maire mais prudemment, celui-ci ne cherche pas à s’opposer.
En début d’après-midi, la colonne quitte Saint-Bonnet en plusieurs groupes, pour se diriger vers Linards, poursuivant son recrutement dans les villages traversés. Les tambours des gardes nationales de Saint-Paul et Saint-Bonnet sont en tête, Bourneix a passé 2 pistolets dans une ceinture rouge, et le drapeau rouge flotte au bout d’une baïonnette. Ce sont maintenant 2 à 300 personnes qui s’approchent de Linards.
Mais à Limoges les choses ont évolué. Ce 6 décembre, on apprend que la résistance au coup d’état a cessé dans la capitale, et que le soulèvement limousin est donc voué à l’échec. Le préfet a également connaissance de la sédition de Saint-Paul. La ville de Limoges étant maîtrisée, il envoie deux pelotons du 5ème régiment de hussards, accompagnés de gendarmes, à la poursuite des insurgés. Aussitôt, les Républicains envoient des messagers pour donner l’ordre de dispersion aux mouvements en cours. Celui parti pour Saint-Paul sera capturé en route par les hussards… De son côté, le curé de Saint-Bonnet, François Ruchaud, de retour de Limoges, s’élance les armes à la main à la poursuite des séditieux !

Arrivée à Linards, l’ insurrection piétine. Le tocsin sonne mais les notables s’opposent aux insurgés et deux gendarmes arrivés de Châteauneuf tentent de bloquer la route qui sort de la localité. Le temps passe, on tergiverse, le ton monte et quelques coups sont échangés. On hésite cependant à ouvrir le feu. Pendant ce temps, les premiers hussards guidés par des éclaireurs atteignent Linards en milieu d’après-midi. Dès qu’ils repèrent l’attroupement, ils chargent pour bénéficier de l’effet de surprise. Rappelons que le bourg ne présente pas la physionomie actuelle avec cette grande ligne droite. A l’époque, on entre par l’actuelle rue de Soufflenheim avant de déboucher sur la droite vers la place de l’église. La charge est donc violente dans cette rue du haut du bourg de quelques mètres de large. Des coups de feu sont échangés, la foule, surprise, est bousculée par les chevaux, et la cavalerie se déploie sur l’actuel champ de foire pour rattraper les fugitifs qui tentent de s’échapper ou de se cacher dans le bourg. On comptera une dizaine de blessés plus ou moins graves. On procède aux arrestations. Les prisonniers sont entassés dans l’école et seront rejoints au fur et à mesure par d’autres insurgés. Ceux-ci, dans l’ignorance de l’arrivée des hussards, rejoignaient Linards pour se joindre à l’insurrection et seront accueillis par la cavalerie ! Les Hussards campent dans le bourg pour la nuit car ils craignent des renforts d’insurgés. Partout, des gendarmes procèdent aux interpellations autour du bourg et dans les communes où des débuts d’insurrection ont été interrompus sur contrordre des messagers. Les interrogatoires commencent à Saint-Paul, Saint-Bonnet et Linards. On cherche les meneurs, l’instruction débute et les prisonniers sont bientôt transférés à la prison de Limoges.

Au final, une centaine de personnes seront inculpées par une commission mixte (civile/militaire) créée pour l’occasion dans tous les départements où eurent lieu des séditions. 11 inculpés sont de Saint-Paul, dont 4 seront condamnés à l’expulsion. D’autres feront de la prison. Les meneurs Bourneix et Mazaud seront condamnés, le premier au bagne en Algérie, le second à l’expulsion.

C’est la seule insurrection au coup d’état qui aura lieu dans la région, et cette étonnante histoire, aujourd’hui oubliée de la mémoire populaire, aurait pu s’arrêter là si, 30 ans après les faits, après la chute du second empire, la République restaurée ne s’était rappelée de ceux qui s’étaient opposés au coup d’état du 2 décembre. Des commissions examinèrent les dossiers en vue de réparations en retenant le principe de versement par la République d’une récompense à ses anciens défenseurs. Concrètement il s’agissait de pensions versées aux anciens insurgés (ou à leurs descendants) en fonction des préjudices subis. 3 insurgés de Saint-Paul se virent attribuer des pensions variables.
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