La chanson des « Saint-Paul »
Buvons un coup nous allons chanter
Une chanson de Vérité,
S’il y a un mensonge, c’est celui des « Saint Paul »
Cette pauvre commune, elle vote pour ses maux
Pour bien chanter. faut s’expliquer.
Ses paroles ne pas manger,
Cette pauvre commune est bien de pardonner,
Car par de pauvres têtes, elle est mal dirigée.
Le maire avec son adjoint,
Les conseillers suivant de loin
Et toute la boutique parlant des le matin
Cette pauvre commune est bien dans le pétrin.
Ce n’est pas comme dans le temps,
Ou la caisse avait de l’argent,
Dans ce département, l’était bien renommée
Par un homme de bien, l’était administrée.
Quand il y a une élection,
Ils votent tous sans réflexion.
L’intérêt général, ils ne connaissent plus,
La vieille politique : ils n’parlent que d’écus.
Les Eyjeaux ne sont pas si bêtes
Ils partagent leurs idées
Laissant la politique. quand ils s’en vont voter,
Le bien de la commune ont raison d’regarder ;
Ainsi ne font pas les Saint-Paul
Ils ne connaissent pas leurs maux,
Endettent la commune, sans jamais rien y faire,
Peut-être quelques routes, mais qui ne servent guère.
Pourtant on dit qu’ils ont fait faire
Pour les filles, une école primaire.
Et moi j’ai été voir pour mieux me renseigner,
Dans un désert l’ont mise, n’ai pas pu la trouver.
Maintenant l’moment est’arrivé,
Où les femmes vont gouverner,
Y’en a une p’tite grosse. ils l’appellent Netton
Si elle avait la force semblerait un dragon.
Une autre des grandes Jambes, elle a,
Celle là. on n’la nomme pas,
Ressemble la Tour Eiffel, femme de l’adjoint
Porterait la cocarde et l’écharpe au besoin.
Qui est la cause de tous ces maux
C’est bien Duris et Barnicaud
Si n’ayant pas tant parlé et tant se promené
Lalande serait sorti. personne n’aurait parlé.
Ce texte traduit du patois date approximativement de 1895, et apparemment certains ont mal digéré les dernières élections (celle de janvier 1894 : élection de MM. DUBOST, Maire, et CHABRELY Nicolas, adjoint) ainsi que la construction de l’école de filles qui a suivi.
C’est l’époque de la 3éme République, caractérisée par une grande instabilité gouvernementale et une montée de extrêmes (affaire Dreyfus, boulangisme, Commune de Paris..). Mais c’est aussi une période marquée par la révolution industrielle, les innovations technologiques, accompagnée de grandes évolutions sociales, illustrées par les lois sur l’Instruction, la laïcité, les droits de grève, d’association et de réunion.
Comme l’ensemble du pays, le bourg évolue : La population augmente malgré l’exode rural vers les industries en plein développement (porcelaine…) , grâce à de nombreuses naissances. La création de l’avenue de Limoges est récente et le village quitte son berceau originel bâti autour de l’église pour s’étendre alentour (Les villages d’Artrat et des Rouchilloux sont encore séparés du bourg, d’où le « désert » exagérément évoqué dans la chanson et qui n’est autre que l’emplacement de l’actuelle école). Le commerce se développe, les communications se multiplient (le télégraphe arrive en 1883) et le tram ne tardera pas à apparaître. C’est dire que de profonds bouleversements physiques et mentaux sont en cours dans une société paysanne de culture patriarcale et chrétienne ancienne. N’oublions pas que depuis des siècles, l’immense majorité des habitants naissent et meurent à proximité du clocher sans jamais quitter la commune. Or, depuis quelques temps, ce n’est plus le cas, car la mobilité apparaît.
Ce pamphlet éminemment sexiste et violemment hostile aux élus de l’époque naît dans le contexte particulier des lois Ferry (Jules, celui qui sera à l’origine d’une série de lois sur l’école primaire votées en 1881-1882 qui rendent l’école gratuite, l’instruction obligatoire et l’enseignement public laïque, en même temps qu’elles interdisent l’usage des langues locales).
Rappelons que la loi Guizot du 28 juin 1833 avait créé les bases d’un enseignement primaire où l’instruction publique était assurée par les communes avec l’aide de l’État et de l’Église. Celle-ci était hostile à ce dispositif qui imposait aux « maîtres » des obligations de formation qui lui échappaient et les maires eux, sont souvent rétifs pour des raisons financières, car c’est le conseil municipal qui fixe le montant de la rétribution scolaire payée par les familles et dressent la liste des enfants qui en sont exemptés. Autant dire que le système ne satisfaisait personne. Enfin, l’instruction des filles est peu concernée et généralement à l’initiative d’œuvres religieuses. Puis la loi Duruy de 1867, oblige les communes de plus de 500 habitants à créer une école de filles (d’où la location d’un bâtiment dans le bourg).La commune a néanmoins fait des efforts pour accueillir ses nombreux enfants (création du bâtiment mairie-école de garçons dans le bourg en 1877 et de l’école mixte de La Ribiére qui entre en service la même année ). Mais les lois Ferry font gonfler les effectifs en rendant l’instruction obligatoire,et la commune se trouve alors dans l’obligation de construire une école de fille (voté en conseil municipal depuis 1884) mais l’état des finances n’est pas très bon et le conseil obligé de revoir ses montages financiers. Pour couronner le tout, l’endroit finalement choisit pour cette école n’est autre que le lieu dit « pré du Colombier » annexé au presbytère en 1827, mais depuis considéré comme désaffecté par la commune. Autant dire que dans le climat de tension qui monte entre l’église et les représentants de la République, ce choix suscitera de nombreuses rancœurs . Nous sommes à l’aube de la séparation de l’église et de l’État et, à Saint-Paul particulièrement, une discorde latente et durable s’installera entre pouvoir laïque et religieux (voir l’épisode de la chapelle du champ de foire). L’école de filles ouvre finalement en 1895 et c’est celle-ci, qui au fil du temps deviendra l’actuelle et unique école de Saint-Paul.
Ce texte, violent, mais qui prête maintenant à sourire, souligne aussi que les convictions des uns et des autres, parfois convaincants à force d’être convaincus, ne font pas la vérité du lendemain, et combien les mentalités, allant de pair avec l’instruction ont eu du mal à évoluer dans une époque de changements majeurs. Qu’aurait on chanté alors d’une femme ministre dépénalisant l’interruption volontaire de grossesse..?

Il existe évidement différentes versions de cette même chanson.